Cette question d’apparence anodine en cache en fait plusieurs :
– ça se visualise par quels gestes, par quelles phrases, en utilisant quelle matière, quels outils ?
– ça produit quoi, quel en est le résultat ?
– ça sert à quoi ?
– et on pourrait en rajouter d’autres selon les cas : où, avec qui …
Le travail de certains est très « visible » et donc facile à décrire : par exemple les métiers du bâtiment ou de la restauration. D’autres sont toute la journée sur un ordinateur, un téléphone et en réunion mais pourtant ne font absolument pas le même travail. Leurs gestes ne permettent pas de comprendre ce qu’est leur travail : à partir d’un ordinateur, on peut analyser des données climatiques, écrire un récit, dessiner un projet architectural, gérer un site internet ou faire le bilan financier d’une société.
Dans une société obsédée d’utilitarisme depuis la Révolution industrielle, le travail est conçu pour « servir à quelque chose ».
Tout le monde aimerait faire un travail dans lequel il s’épanouisse en perfectionnant chaque jour son savoir faire et en étant utile aux autres. Mais beaucoup ne font pas un travail qui leur plaît mais pour pouvoir subsister.
Nous avons décidé d’enquêter pour Fatche 2 ! sur la façon dont les gens qui travaillent à Coco Velten parlent de leur travail.
Juliette – Association Sozinho
Entretien avec Juliette Mabille de l’association Sozinho, qui veut mettre en place des ateliers permettant l’accès à la pratique artistique pour tous.
C’est quoi ton travail Juliette ?
Je suis en création d’activité pour une association toulousaine, Sozinho, qui œuvre sur la cohésion sociale par les arts et l’accès à la culture pour tous et qui a envie d’ouvrir une antenne à Marseille. Pour l’instant je prends contact avec les associations du quartier et les institutions et je me présente. A partir de là je réfléchis avec eux pour monter des projets de cohésion sociale par les arts.
Pourrais-tu expliquer cette expression « cohésion sociale par les arts » ?
C’est large. Ça consiste, autour de l’art en général ou d’un art en particulier – la peinture par exemple – à mixer les publics, les réunir autour d’une activité. Aller éventuellement à leur rencontre, s’ils s’écartent comme les ados, pour les convaincre qu’ils sont légitimes à pratiquer des arts. Dire à tout le monde que c’est pour eux, tout est pour eux.
Y a-t-il une activité artistique que tu privilégies ?
J’ai travaillé pendant 15 ans dans le cinéma donc mes réseaux et mes compétences pour l’instant sont plutôt là. J’aimerais bien monter des ateliers cinéma, des ateliers d’écriture, d’autres autour de l’image ou du son, des costumes, des décors… mais je suis ouverte à toute sorte d’art.
Et tu envisages le quartier de Belsunce en particulier ou ça peut être n’importe où ?
Dans l’expérience de Toulouse, il y a quelque chose d’important c’est de se positionner dans un quartier et y venir régulièrement. A Toulouse on propose un « café-livres » dans un square à la sortie des écoles avec des livres, des sirops et du thé éventuellement pour offrir une boisson et un livre aux habitants du quartier, enfants et adultes. Cette présence régulière permet un diagnostic sur ce qui manque et pourrait rendre service, et de voir si on a notre place ici. Si on voit qu’on a notre place, on restera là. Si au contraire on voit qu’il y a tellement d’associations, tellement de choses que les gens n’ont ni besoin de nous ni besoin de rien, on peut tout à fait aller ailleurs.
Alban, artiste-plasticien
Entretien avec Alban de Chateauvieux, Artiste-plasticien à l’écoute
C’est quoi ton travail ?
Je suis rentré à Coco pour faire évoluer mon travail. Auparavant j’étais illustrateur. Je créais des images pour des entreprises dans un objectif commercial. Aujourd’hui mon désir c’est de m’affranchir de la commande et de ne plus avoir de feuille de route, de créer des images comme j’en ai envie et d’exprimer quelque chose qui fasse appel à la créativité.
Mon travail ça a toujours été de raconter une réalité. Avant, c’était une réalité commerciale, aujourd’hui c’est d’essayer de raconter une réalité plus humaine et de parler de la vie et du quotidien des gens qui m’entourent. Donc j’aime me mettre à l’écoute et raconter ce que je vois autour de moi, ce qui se vit autour de moi.
Le travail, de mon point de vue c’est ce qui est pénible et là depuis que je suis à Coco à chaque fois que je suis rentré dans mon atelier j’ai poussé un soupir de bonheur en me disant c’est trop bien d’être là, c’est trop bien ce que j’ai à faire.
Qu’est-ce que tu aimes dans ton travail ?
Faire des rencontres. C’était déjà le cas quand je travaillais pour des entreprises, ce que j’aimais vraiment c’était croiser des gens qui me racontent leur vie, ce qu’ils font, etc. Ce qui me plait aujourd’hui c’est la perspective de me dire que je vais rencontrer plein de gens qui vont me partager plein de choses et me donner leur confiance pour qu’ensuite je restitue ça en image, c’est génial !
Qu’est-ce que tu aimes moins ?
C’est la pression que ça représente, parce que j’attache une telle importance à ce qu’on me confie qu’ensuite je me sens toujours un peu limité dans mes compétences, mes moyens, pour valoriser tout ça. Et ce que j’aime moins aussi et auquel je pense que Coco va apporter une solution, c’est le fait de travailler seul. Ici je peux produire dans un environnement plus peuplé et aller à la rencontre des autres.
En quoi ton quotidien est différent depuis que tu es à Coco ?
Je ne le connais pas encore trop bien mon quotidien dans ce nouveau travail parce que je démarre tout juste mais pour te donner un exemple hier matin je suis descendu boire un café et j’ai passé les deux heures et demi suivantes à discuter avec Yacine dont je suis en train de faire le portrait et donc c’est assez génial de pouvoir se dire que si je me rends disponible à ces rencontres, mon quotidien sera toujours différent et potentiellement toujours passionnant.
Quelle est la différence selon toi entre la passion et le travail ?
Je crois que ce travail c’est plutôt un talent qu’une passion c’est-à-dire que c’est quelque chose que j’ai trouvé en moi à un moment et qui a été valorisant parce que quand j’étais petit on me disait que je dessinais bien. Et comme par la suite on ne m’a pas dit que j’étais fort en maths, je me suis un peu focalisé sur ce que je savais bien faire et qui me renvoyait une chouette image de moi !
Donc c’est devenu mon travail parce c’était quelque chose que je savais bien faire. Ça crée des passions chez moi, mais qui ne sont pas toujours comme quand on est passionné : ce n’est pas toujours positif.
Entre travail et passion, dans la mutation de mon travail entre illustrateur et artiste, il y a un vertige car j’ai une famille et je n’ai aucune idée de comment je vais gagner des sous. Voilà. Et donc là je relance un peu les dés de la passion du travail.
En quoi la proximité avec les autres influence ton travail ?
La proximité avec les autres, c’est ce qui est marqué sur le petit panneau à l’entrée devant ma porte : « L’autre est ma matière, tout est dans l’échange ». S’il n’y a pas l’autre, je n’ai rien à dire et rien à raconter dans mes images. Et il y a une autre proximité qui appuie ce que je fais ici, c’est qu’à côté du mur de mon atelier il y a le Carillon qui travaille avec des gens, et à côté du mur du Carillon il y a l’équipe Marss. Ces voisins sont des fenêtres ouvertes sur ce monde-là que j’ai envie de découvrir.
As-tu déjà pensé à une idée folle pour le lieu ?
Pour moi Coco c’est déjà une idée folle que je n’aurai pas su modéliser moi-même, alors l’idée folle pour le lieu c’est que ça dure plus de trois ans, que ça demeure.
Aurore, AIR Climat
Entretien avec Aurore Aubail de l’association AIR Climat, qui cherche à faire du lien entre les chercheurs et les décideurs sur la question du changement climatique.
C’est quoi ton travail ?
Je dirige l’association AIR Climat, l’Association pour l’Innovation et la Recherche au service du climat. Cette association vise à sensibiliser les gens ou leur faire prendre conscience du changement climatique à différentes échelles et on utilise la science pour cela. On essaie de faire le pont entre les scientifiques, le milieu de la recherche et la société civile mais plus précisément les décideurs et les gestionnaires.
Mon quotidien en tant que gestionnaire d’une structure c’est un aspect administratif important : énormément de mails, de rédactions de convention, de projet de dossiers de subvention, de comptabilité, de diffusion de newsletter, tenir à jour des bases de données. Ensuite il y a la gestion des projets en eux même, suivre leur avancée. Enfin, il y a l’organisation de journées thématiques, une fois par an.
Qu’est-ce que tu aimes dans ton travail ?
De travailler avec les chercheurs, car c’est un monde duquel je viens et dans lequel j’ai travaillé, donc ça me fait plaisir de conserver ce lien avec le milieu universitaire. Et également d’être dans un milieu associatif, c’est tout un réseau au niveau régional et c’est très stimulant.
Qu’est-ce que tu aimes moins dans ton travail ?
L’aspect administratif. Cela fait partie du boulot de gérer une structure ou des projets mais ça a pris des proportions importantes cette dernière année. Plus on multiplie les projets plus il y a de budgets, de dossier de subventions et en plus de gérer la structure ça fait beaucoup. Quelques fois on perd un peu de vue le contenu et l’essence même de l’association.
En quoi ton quotidien est différent depuis que tu es à Coco ?
C’est très enrichissant de rencontrer différentes personnes de différents horizons qu’on ne connaissait pas ou qu’on ne fréquentait pas avant ; ça permet d’échanger sur un tas de
thématiques qu’on n’aurait pas abordé au quotidien car ça ne relevait pas du changement climatique, ça fait sortir de sa bulle.
En quoi cette proximité avec les autres influence ton travail ?
Les autres personnes à Coco Velten n’ont pas nécessairement le même filtre que nous pour approcher les sciences et le changement climatique notamment et donc on peut envisager des projets avec d’autres filtres que celui de la science : à travers la culture, l’art, l’architecture… cela va nous permettre d’être plus créatifs et d’imaginer des choses qu’on n’aurait pas nécessairement imaginé avant.
Quelle différence entre passion et travail ?
J’aime travailler à diffuser des choses, à transmettre et œuvrer pour l’intérêt général. Ce n’est pas tant la science du climat ou le changement climatique qui me passionne, c’est tous les à-côtés, les liens avec d’autres association ou d’autres structure et la liberté que gérer une structure peut offrir.
Une idée folle pour Coco Velten ?
Qu’il devienne un lieu de débats et d’échanges concernant les grands enjeux liés au quartier en réunissant tous ses acteurs. Qu’il soit un support de débat démocratique.