Marie Meyer-Bish est coordinatrice de La Cloche Sud depuis deux ans. Nous l’avons interviewé pour tout comprendre sur la Cloche, les actions en cours et à venir !
Tabasco Vidéo : Qu’est-ce que La Cloche ?
M M-B : La Cloche, c’est une association nationale, et nous ici, on est l’antenne Sud, l’antenne marseillaise. C’est une association qui agit contre l’exclusion des personnes sans domicile, en proposant aux citoyens et aux citoyennes des outils clés en main pour être solidaires dans leur quartier. On est basé sur un programme phare qui s’appelle « Le Carillon », c’est un réseau de commerçants solidaires de quartier. « Les carillonneurs » proposent des services gratuits pour tout le monde : aller aux toilettes sans consommer, s’asseoir en terrasse et profiter du wifi ou lire un journal, etc. Et ils proposent aussi à leurs clients de consommer solidaire en mettant des cafés en attente, des plats en attente, des lunettes en attente, etc.
Nous avons un autre programme qui s’appelle « Les Clochettes », il s’agit de la végétalisation des espaces urbains. Ce sont des espaces où – au sein d’un jardin – on peut se rencontrer dans un quartier entre personnes avec et sans domicile.
TV : comment mobilisez-vous les personnes qui sont dans la rue ?
M M-B : On a deux moments phares dans la semaine qui nous permettent de mobiliser, de rencontrer et d’engager des personnes au sein de l’association : le premier s’appelle « Le Repère », c’est dans le centre-ville de Marseille, c’est tous les vendredis matin à la Bagagerie, chez un de nos partenaires, boulevard de La Libération. Le deuxième moment, c’est le mercredi matin à l’hôpital Saint-Joseph. Ce sont des temps où toutes les personnes qu’on rencontre dans la rue ou ailleurs, savent qu’elles peuvent nous retrouver autour d’un petit-déjeuner et connaître toutes les informations qui peuvent les intéresser et les activités à faire, etc… Quand on a pas de toit sur la tête, parfois c’est un peu difficile de chercher les gens à droite à gauche et donc on a voulu avoir des points de repère dans la ville, à des moments précis. C’est à dire que c’est toujours le mercredi matin, toujours le vendredi matin pour que tout le monde sache où nous retrouver.
Et l’autre méthode, c’est qu’on est dans la rue trois fois par semaine pour des sensibilisations de rue, et là on va rencontrer les personnes sans domicile et on leur parle de l’association.
TV : Vous avez combien de bénévoles ?
M M-B : Aujourd’hui on a une centaine de bénévoles inscrits et on peut dire une cinquantaine de personnes actives au quotidien.
TV : Quel est concrètement ton travail de coordinatrice ?
M M-B : Je fais en sorte que les commerçants solidaires de quartier et les personnes de la rue qui ont besoin de leurs services puissent se rencontrer. Je fais en sorte que la communauté de bénévoles sache où agir, et de trouver quels pourraient être les ateliers, les moments de lien social qui permettraient dans un même quartier, à des personnes en situation d’errance dans la rue et des habitants, de se connecter et de créer du lien social et après d’être autonomes avec ce lien social là. Donc moi je coordonne tout ça ! Et évidemment, on ne peut pas agir sans partenaires donc je rencontre aussi tous les gens sur le terrain qui agissent dans le même domaine et on entretient des rapports avec eux.
TV : Vous avez un ancrage spécifique au Cours Julien ?
M M-B : Le Cours Julien, c’est une grande histoire. C’est ici que démarre, il y a 5 ans, le début du Carillon. Avant que La Cloche se fonde comme une grande association nationale, seul le programme du Carillon existait. Il y avait juste l’idée de proposer à des commerçants de mettre un pictogramme sur leurs vitrines avec des petites clochettes qui disaient « bienvenue », de manière inconditionnelle pour disposer de services, et ces services sont précisés par d’autres petits pictogrammes : un petit livre pour avoir un livre etc…
Ça a commencé comme ça, et comme le Cours Julien est un noyau de commerçants collés les uns aux autres et qu’il y a beaucoup de passage et beaucoup de personnes à la rue, et bien c’est là que tout a commencé ! Donc notre ancrage là-bas est historique.
TV : C’est donc pour ça que vous fêtez vos 5 ans au Cours Julien !
M M-B : Exactement ! On fête les 5 ans là-bas parce qu’il y a plein de commerçants qu’on a envie de mettre en valeur et de remercier parce que sans eux, on ne serait pas là.
TV : Qu’est-ce qu’il va se passer pour cette fête anniversaire ?
M M-B : Tous les ans, à la date anniversaire qui est le 22 juin, on organise un gros événement de ce type. Plus on avance dans les années et plus les événements grossissent ! Parce qu’on a fait évoluer l’association, parce qu’on a de plus en plus de bénévoles, de plus en plus de commerçants. Aujourd’hui on est arrivé à carrément cinq jours d’événements au Cours Julien ! Ce qu’on a envie de faire c’est vraiment de se dire, à l’échelle de ce quartier là, ça représente déjà plein de partenaires de terrain, et on a envie que tout le monde puisse proposer quelque chose à faire ce jour-là et que tout le monde puisse se retrouver. Par exemple, le restaurant Noga qui accueille des personnes tous les jours pour venir manger va collaborer en nous préparant des petits plats. L’association “Le Pied-de-mouton” qui va à droite et à gauche en mode « cuisine mobile populaire » va cuisiner à Dar Lamifa avec des bénévoles pour l’événement. La Brasserie Communale va mettre des verres solidaires en attente, le Centre Social de l’Espace Julien va mettre à disposition des jeux pour les enfants, etc… On va pouvoir comme ça se rassembler et montrer qu’en 5 ans d’histoire, on a réussi tous ensemble à collaborer pour la même cause.
TV : Le fatchavoir montre la préparation de l’événement en amont, et on a constaté une grande implication des personnes, que ce soit dans les répétitions de la chorale, la réalisation des podcasts, ou la préparation de l’exposition végétale. Ces activités, vous les faites toute l’année ?
M M-B : Oui, toute l’année ! On fait plein de choses comme la chorale, et là on a envie de mettre en valeur leur travail d’un an, donc ils se sont préparés avec leurs chansons depuis un an. Il y a des hommes, des femmes, et ils ont préparé un petit set de 4-5 chansons qu’ils vont chanter sur la place. Ils le font aussi à Noël et à d’autres reprises pendant l’année, mais là c’est leur moment phare, un peu comme un spectacle de fin d’année.
Même chose pour la radio, on fait ça toute l’année, on produit tous les mois des podcasts ou des émissions. Là on va les mettre en valeur pendant une exposition.
« Les clochettes » – ceux qui participent aux jardins – vont faire des herbiers et
les exposer. Du coup, cet événement, c’est vraiment l’occasion pour tout le monde de montrer un peu le fruit de son bénévolat de l’année. Et les bénévoles ont envie de mettre en valeur ce qu’ils font parce qu’en fait c’est du travail quotidien acharné qui est parfois très discret, parce qu’on est beaucoup sur le terrain, beaucoup dans la rue, et là c’est un peu le moment où on va faire la fête et où on va dire « bravo », « merci » et “c’est reparti” ! Et c’est aussi l’occasion de solliciter l’envie chez d’autres.
TV : Tu animes l’activité radio/podcats, tu peux nous en dire plus ?
M M-B : Oui, ça s’appelle « Voix croisées ». On peut les écouter sur la plateforme Ausha et sur Deezer et Spotify en fonction des types de podcast, mais surtout sur Ausha. Il faut taper « les sons de la cloche » et là on arrive sur une grande playlist où on trouve tous les podcasts de toutes les cloches de France, et il y a la playlist « Voix croisées », la playlist marseillaise.
Les personnes qui participent à l’atelier ont souvent envie d’utiliser l’outil radio pour s’exprimer et pour pouvoir raconter au grand public ce qu’elles ont vécu dans la rue, pour donner des conseils à ceux qui y sont encore, et aussi sensibiliser. Elles ont envie de dire que c’est pas parce que on a traversé ce parcours de rue qu’aujourd’hui on n’est pas capable de faire de la radio, de parler de culture, de faire des poèmes, etc…
J’aimerais qu’un jour on fasse un pictogramme comme ceux du Carillon pour des écoutes radio, que ce soient des endroits où si quelqu’un a envie d’écouter une émission de Voix Croisées, il puisse le faire, car souvent les personnes n’ont pas internet. Parfois, on se dit qu’on a fait des supers trucs mais les gars de la rue que nous sommes allés voir, ils ne peuvent pas les écouter ! Alors qu’est-ce qu’on fait ? Hé bien, on va dans la rue et on leur fait écouter avec le portable…
TV : Et votre exposition végétale ?
M M-B : Chaque personne a trouvé sa petite plante fétiche dans le jardin, puis l’a séché et en a fait une petite page d’herbier en y associant un témoignage sur son rapport au jardinage avec La Cloche, ce petit moment de respiration dans la semaine. C’est un moment très calme et apaisant, et on constate que souvent les gens en ressortent avec plein de révélations sur leur vie. Ce sont des beaux moments et c’est gratifiant car il y a des légumes qui poussent, des fleurs… On voit tout de suite le résultat et c’est chouette
TV : Il y a aussi l’atelier bricolage, tu peux nous en parler ?
M M-B : Oui, grâce au partenariat avec BTP Solidaire. C’est une association qui fait des constructions plutôt en bois en général mais ils savent un peu tout faire. Ils font de grosses constructions un peu farfelues et après ils les mettent sur la place publique. Comme ça les gens peuvent s’ébahir devant leurs œuvres ! Et là, pour les 5 ans, ils veulent bien revisiter la place du Cours Julien avec nous, avec des grosses structures en bois qu’ils vont fabriquer en amont avec nos bénévoles. Ça va être assez fou, on a une dizaine de bénévoles qui participe et ils ont eu plein d’idées ! Il va y avoir plein de choses rigolotes. L’objectif, c’est d’investir l’espace public et de créer aussi du lien social à travers ces constructions.
TV : Quels sont les futurs enjeux pour La Cloche ?
M M-B : Depuis janvier 2022, un de nos gros enjeux, c’est le programme « Mon taf solidaire » qui va continuer encore une année ou deux. C’est la première innovation en France d’inclusion professionnelle de ce style. Le but c’est permettre à des gens très éloignés de l’emploi qui sont bénévoles à La Cloche et qui déjà, au sein de La Cloche commencent un peu à tester leurs compétences, à apprendre des choses, à mettre en valeur leurs qualités et leurs expériences. On fait en sorte qu’ils se rencontrent avec des commerçants solidaires mais via l’emploi cette fois-ci.
Les personnes qui ont envie de participer à « Mon taf solidaire » peuvent tester leur employabilité et savoir s’ils ont envie de remettre un pied dans l’emploi ou pas, ou du moins de reprendre confiance dans ce domaine. Et ça c’est tout nouveau.
Ce qu’on veut, c’est coacher les commerçants pour qu’ils soient inclusifs. Il y a plein de dispositifs d’insertion professionnelle qui existent mais en fait ces dispositifs accompagnent les personnes en insertion mais moi je me suis rendu compte dans la rue, et mes collègues bien avant ça, que les commerçants qui fréquentent La Cloche depuis longtemps, ils ont une réflexion inclusive et ils aimeraient bien parfois embaucher le gars qui est en bas et qui fait la manche devant leur porte ou proposer à untel de ranger les terrasses le soir parce qu’il le voit passer dans la rue tous les jours ou qu’il vient prendre des bons « Carillon » le matin. Mais ils n’ont pas de « cadre technique » pour l’employer légalement. Donc du coup, nous on se on se place à côté d’eux pour faire en sorte que leurs entreprises deviennent inclusives si ils le souhaitent et on les accompagne dans ce processus-là.
TV : Tu veux dire dans les démarches administratives ?
M M-B : Oui mais surtout, ça veut dire comment organiser son restaurant pour qu’il soit inclusif pour une personne très éloignée de l’emploi ou/et sans domicile. En fait, il y a plein de freins à l’embauche pour beaucoup. Par exemple ça peut être des retards à répétition. Mais pour une personne à la rue, trouver sa douche le matin, ça peut lui prendre 3 heures… Donc, il y a tout cet apprentissage-là à faire, et on réfléchit ensemble à des missions au sein du restaurant par exemple, qui pourraient être adaptées en fonction des envies aussi des commerçants – et les envies existent, elles ont juste besoin d’être accompagnées ! Donc, ça, c’est le gros projet phare de l’année, c’est une expérimentation. Si ça prend, ça serait chouette que ce projet soit mis en place un peu partout en France et que ça puisse aider pas mal de gens à retourner à l’emploi si ils en ont envie.