Les monnaies locales peuvent jouer un rôle important dans la transition écologique. Elles promeuvent l’économie locale, renforcent les liens sociaux et solidaires et encouragent des pratiques plus durables. Pour mieux comprendre les enjeux d’une monnaie locale, nous avons rencontré Christelle Veyri, membre de la Roue Marseillaise et Delphine Frenoux, Adjointe au Maire des 4&5, déléguée à l’Economie Sociale et Solidaire
Tabasco : Christelle, peux-tu nous expliquer la Roue Marseillaise ?
Christelle : La Roue est une monnaie locale citoyenne marseillaise et complémentaire à l’euro. Un euro = une roue donc ce n’est pas compliqué sur le plan comptable. La différence avec l’euro, c’est qu’une roue ça ne se dépose pas en banque donc ça ne va pas finir dans les circuits financiers, ça ne va pas alimenter tout ce qui est lié au pétrole, la grande distribution, l’agriculture intensive, etc. Les euros qu’on échange contre des roues sont destinés à circuler sur le territoire et donc dynamiser l’économie locale.
Tabasco : Comment ça se passe concrètement ?
Christelle : Chaque euro échangé contre des roues est déposé sur un fond de garantie, à la NEF qui est une banque éthique qui ne spécule pas. C’est une obligation légale car les monnaies locales sont encadrées par la loi depuis 2014. Une Roue correspond à 1 € ; lorsqu’elle est mise en circulation, l’euro récolté est déposé sur ce fonds de garantie.
Ce qui veut dire, que si demain, les associations qui portent la monnaie (l’antenne de Marseille, Aix, Arles, Salon, le Vaucluse, les Hautes-Alpes) disparaissent, tout le monde sera remboursé, les particuliers et les professionnels d’où le nom fond de garantie.
Tabasco : Tu utilises la Roue quotidiennement ? Quels types d’achat fais-tu ?
Christelle : Ce sont essentiellement des achats du quotidien. Moi, j’achète toute ma nourriture en Roue, je paye mon coiffeur en roue, j’achète des fringues, je fais beaucoup de choses avec la Roue ! Je ne suis pas cycliste mais par exemple, je pourrais faire réparer mon vélo ou acheter un vélo en roue. Il y a plein de possibilités, tu peux aller au restaurant, dans un bar.
Tabasco : Comment ça se passe avec les professionnels ?
Christelle : La Roue, c’est un réseau solidaire. Tout l’enjeu c’est de trouver de nouveaux partenaires ou de nouveaux fournisseurs ou faire changer les fournisseurs. Et c’est là où c’est intéressant parce que, il y a plein de professionnels qui changent leur fournisseurs parce qu’ils sont adhérents à la Roue. Donc là, on est bien dans la logique de la monnaie locale, c’est-à-dire, on change sa façon de consommer et on participe à un réseau de solidarité, dans une logique où on favorise “son voisin”. Faire partie du réseau, c’est mieux consommer et mieux s’approvisionner.
Tabasco : Quel est l’intérêt d’une monnaie locale ?
Christelle : L’intérêt c’est de dynamiser l’économie locale ! Ne pas pouvoir déposer en banque fait que la monnaie circule beaucoup plus vite que de l’argent qu’on peut thésauriser. Le but, ce n’est pas « de faire de l’argent avec de l’argent », c’est faire en sorte que l’argent circule beaucoup plus vite, en incluant un maximum d’acteurs, pour dynamiser l’activité du territoire. Payer en monnaie locale, c’est consommer dans un commerce de proximité. Mais c’est aussi créer de la richesse qui ne sort pas du territoire, c’est participer au financement de projets solidaires et éthique sur celui-ci, c’est favoriser le maintien de l’emploi sur son territoire et redonner du sens à ses échanges.
Tabasco : Delphine, tu es adjointe à l’Economie Sociale et Solidaire. Pour toi, quel est l’intérêt d’une monnaie locale comme La Roue pour une collectivité ?
Delphine : Selon moi, La Roue, c’est un interlocuteur privilégié, un facilitateur, un intermédiaire entre tout cet écosystème d’acteurs de nature très différente que ce soit des commerçants, Synchronicity, des associations, des producteurs… Bref, beaucoup d’acteurs ! Et La Roue, c’est l’animatrice de cet écosystème d’acteurs qui sont amenés à coopérer ensemble. C’est de l’intelligence collective et c’est pour ça que l’on souhaite soutenir La Roue.
Christelle : Nous avons une bonne connaissance du terrain et surtout de ses besoins. A chaque nouvelle adhésion d’un professionnel, nous faisons un audit. Quels sont ses besoins pour mettre en place les bonnes pratiques ? Quels sont ses freins ? Toutes les questions sur le transport, sur la gestion des déchets, etc. Et nous leur proposons des solutions. Par exemple, certains d’entre eux ont des problèmes avec la gestion de leurs déchets. Parmi nos partenaires, nous avons Synchronicity qui optimise la gestion des déchets. Un problème, une solution.
Tabasco : Quel doit être le rôle des collectivités locales ?
Christelle : Une monnaie locale sans l’appui des collectivités, ce n’est pas possible. Aucune monnaie locale n’a pu se développer sans les collectivités. La plus grosse monnaie locale en France et d’Europe c’est L’eusko, au Pays Basque. Sans le soutien des collectivités, elle n’aurait pas pu prendre autant d’importance parce qu’on est bloqué par le changement d’échelle. Prenons un exemple tout simple : il y a plein de services comme le paiement des emplacements sur les marchés. Les producteurs sont des « bouts de chaîne » donc il faut leur trouver des solutions pour utiliser la monnaie, et si on n’a pas la collectivité derrière, ça ne marche pas. Et si on n’a pas de financements pour pouvoir salarier des personnes qui sont nécessaires au bon fonctionnement du réseau, ça ne marche pas. On fait un boulot d’entreprise, on n’ est pas en train de faire du point de croix ou de la peinture sur soie ! Nous avons des outils numériques de professionnels. Nous avons une application mobile, on peut payer en ligne avec la roue ! Tout cela coûte de l’argent, et nous, on ne peut pas se financer avec des adhésions à 40 euros ! Donc, nous avons également besoin des collectivités locales. Et les collectivités ont besoin de nous pour l’expertise de terrain.
Tabasco : Et pour toi, Delphine, quel devrait être le rôle des collectivités locales ?
Delphine : Les collectivités locales devraient, à mon sens, être les principaux leviers économiques, les principaux débouchés pour les acteurs du territoire, dans une logique de relocalisation. Une relocalisation écologique et sociale, avec des emplois non délocalisable sur les territoires, par exemple. Essayer de raccourcir les chaînes de production. Dans toute cette logique-là, la mairie via ses marchés, devrait avoir une vraie politique d’accessibilité aux petits acteurs du territoire aux marchés centraux. Mais c’est un travail qui est immense ! Il faut revoir totalement la manière d’écrire les marchés. Il y a par exemple, des clauses qui viennent de l’Europe où tu ne peux pas favoriser les acteurs du territoire. Il faut parfois chercher comment contourner les obstacles. Donc tout ça n’est pas simple mais pas impossible non plus.
Christelle : Il y a des villes en France où les collectivités ont réussi à s’intégrer dans l’écosystème. Prenons Montpellier par exemple, la municipalité a adhéré à La Graine 34, et au paiement possible d’une partie des indemnités de ses élus en monnaie locale. Même chose à Lyon. Au-delà de l’aspect symbolique, l’utilisation de la monnaie locale par les collectivités est l’une des clés qui permet de booster ses impacts écologiques, solidaires et économiques.
Tabasco : Combien existe-t-il de monnaies locales en France ?
Christelle : Il existe 82 monnaies locales sur le territoire français. La roue fait partie d’une fédération nationale de monnaie locale qui s’appelle « Le Mouvement Sol ». Un de ses rôles est de faire un plaidoyer auprès des députés et des sénateurs pour que la loi évolue, pour que l’on nous donne plus de possibilités. Pour l’instant, on est encore très limité même si les choses avancent.