Nicolas Mémain, urbaniste grands pieds, nous fait découvrir la rue de la Joliette à travers un voyage dans le temps.
En survolant des cartes de Marseille datant de 1785 à nos jours, son histoire se dessine par strates successives.
Vous pouvez lire ci-dessous un extrait de son récit :
Transporter des marchandises rue de la Joliette est un délit. Du moins, c’était encore le cas en 1785. À l’époque, le Boulevard des Dames n’est autre que le mur Nord de Marseille, véritable rempart protégeant la citée phocéenne depuis l’antiquité. À part le petit faubourg Saint-Lazare qui deviendra l’îlot du Bon Pasteur et le chemin Malaval il n’y a rien au-delà des murs, sauf quelques vaches qui broutent paisiblement dans les champs, de la rue Fauchier jusqu’à l’Estaque.
Pour arriver dans Marseille par le Nord, il faut emprunter l’entrée officielle de la ville, qu’on appellera plus tard la Porte d’Aix. Il est alors impossible de la franchir sans payer l’octroit : l’impôt sur les marchandises.
Alors, les négociants inventent le Chemin de la Joliette, un sentier sinueux qui longe le Bastion des Dames, les tours de Gale et de Saint Cannat, avant de finir les pieds dans la mer. Une fois face à l’Anse de la Joliette, les marchands n’ont plus qu’à se glisser dans la ville par la Porte de Gale, et le tour est joué. Quelques centaines de mètres à pieds et les précieux écus restaient au fond de la bourse.
Mais dans la ville qu’on appellera un temps « La Ville-Sans-Nom », une poignée d’années après la Révolution, les changements s’accélèrent. Le Chemin de la Joliette n’est plus seul hors les murs, et des blanchisseries et autres fabriques l’encerclent peu à peu. L’une d’elle, spécialisée dans la construction de fiacres, donnera même son nom à une ruelle que l’on emprunte encore aujourd’hui pour rejoindre la rue du Bon Pasteur. D’année en année, d’autres fabriques voient le jour, dont la très précise Manufacture de Cordes à Violons ou encore la Verrerie, construite à quelques mètres de l’actuel Centre International du Verre (CIRVA).
Dès le début du dix-neuvième siècle, Marseille ne tient plus entre quatre murs. Alors, les murailles sont abattues, et les pierres réutilisées pour construire la ville qui n’en finit plus de grandir : quand on traverse aujourd’hui le Cours Julien, les boulevards Salvator, Puget ou Garibaldi, nos pieds foulent en fait les restes des murailles phocéennes. Les besoins en matériaux de construction sont alors si fort, qu’on rase une colline au sud du Lazaret pour permettre à la ville de gagner sur la mer : les anses de l’Ourse et de la Joliette deviennent les bassins du Port autonome, et le littoral vallonné et tortueux devient plat et rectiligne. Les champs se changent en bâtiments, et les blanchisseries du Chemin de la Joliette en écuries. Écuries pour chevaux de transport dans un premier temps, puis dès les années 1980 pour chevaux moteur et fiscaux. Avec le temps le Chemin est devenu la Rue, les époques se sont succédées, et pourtant même lorsqu’Euromed redessine l’un des plus vieux quartier de Marseille, la rue de la Joliette continue son petit bout de chemin, laissant les pas des marchands du dix-septième siècle guider ceux des garagistes-vendeurs du vingtième-et-unième siècle vers leurs clients du Maghreb.