Depuis que le Bd du littoral a été refait, je reviens dans le quartier le week-end avec des amis de passage.
Les souvenirs du quartier
Je m’appelle Marie-Colette. Je suis née en 1962 et j’ai habité au Bd des Dames jusqu’à fin 1973. Le quartier était habité majoritairement par des populations corses et italiennes. Moi je suis d’une famille de marins. Mon arrière-grand-père s’était installé là pour être à proximité de son travail. À l’époque si on voulait faire carrière, il fallait être à Marseille. De là il y avait encore beaucoup de lignes qui desservaient le monde entier.
Quand j’étais enfant on allait souvent à la plage aux Catalans. On allait à pied jusqu’à la Place de Lenche et on prenait un ferry boat jusque de l’autre côté du Port, au carénage. Mes copains garçons allaient aux Pierres Plates, mais ma mère préférait le sable, elle n’était pas très téméraire.
Une des grandes fêtes qu’on avait c’était la messe des rameaux. Ça rassemblait tout le quartier car la plupart des enfants allaient au catéchisme ensemble. À la Cathédrale – on l’appelle aujourd’hui la Major, mais pour nous c’était “la Cathédrale” – c’était un grand moment de rassemblement. Tous les enfants du quartier avaient leur rameau, souvent en plastique, décoré avec des jouets et des bonbons. On les trouvait dans toutes les boulangeries et dans un magasin de bonbon près du passage de Lorette. Pour nous c’était presque aussi bien que Pâques !
Il y’avait encore beaucoup d’artisans et de commerçants dans tout le quartier. J’ai vu s’installer la première moyenne surface – le Casino du Bd de Paris – je pense que c’était en 71 ou 72. C’était vraiment le début de la grande consommation. Avant ça toutes les courses se faisaient dans le quartier, et puis pour acheter les vêtements et les chaussures on “descendait” en ville : on allait rue de Rome, rue St Ferréol ou sur la Canebière.
Tout le monde se connaissait et énormément de gens étaient plus ou moins apparentés – les Corses sont tous cousins, c’est bien connu. Il y avait ceux qui étaient plus vers le Panier, ceux qui étaient plus vers la rue Plumier, qui n’avaient pas fréquenté les mêmes écoles, mais on avait vécu depuis toujours dans le même quartier, il y avait vraiment des affinités.
On était de la Joliette, fiers d’être de la Joliette.
On avait même un cinéma, qui s’appelait “le Provence”. Les premiers films dont je me souvienne je les ai vus là. Il a existé jusqu’en 71 ou 72.
Le départ et le retour au quartier
Pour moi c’est à partir de là que la situation se dégrade, avec cet urbanisme fou qui a mis une autoroute devant les fenêtres – cette même passerelle qu’Euroméditerranée a détruite récemment. Il y a vraiment eu une cassure là.
J’ai beaucoup souffert à l’époque de quitter la Joliette et de partir dans une cité HLM dans le 11ème. Pour moi ça a été un vrai choc. C’est pour ça que j’ai voulu garder un lien avec ce quartier où j’avais toujours mes grands-parents. J’y retournais très régulièrement et j’y ai même passé mon permis !
Quand j’ai entendu l’annonce du lancement du projet Euroméditerranée qui allait travailler justement à faire revivre ce secteur, j’ai postulé immédiatement et je me suis acharnée jusqu’à ce que je puisse y entrer. Même si je ne possédais pas toutes les données macro-économiques, je pouvais constater de mes yeux que le quartier se paupérisait et avait énormément changé, et ça me faisait mal.
La Joliette aujourd’hui
Bien sûr il y a eu du dégat et je comprends que certaines personnes soient nostalgiques, mais je pense que globalement on a fait du bon travail et que ça se voit. Evidemment les populations sont différentes, mais je vois pas très bien comment on aurait pu empêcher ça : il y a eu une spéculation immobilière énorme. Et ce n’est pas dû qu’à Euroméditerranée, il y a eu aussi l’effet TGV qui a fait partir les prix dans la stratosphère.
On essaie de respecter les normes de la loi SRU sur l’habitat social, mais Euroméditerranée ne peut pas tout faire, on n’est pas tout seuls. On sert un peu de vitrine, et on nous jette des tomates parce qu’on est surexposés. Les gens ne savent pas toujours qu’Euroméditerranée est limité à une très petite portion du territoire et n’a pas tous les pouvoirs.
Il y avait le restaurant Le Dédicace, où tous les gens qui travaillaient dans le quartier allaient. À Euroméditerranée on a été très tristes quand il a fermé. Tout était fait maison, il fallait réserver à l’avance parce qu’il y avait une quantité limitée de plats, et puis les desserts étaient à tomber par terre : il y a des gens qui ne mangeaient que des desserts ! Mais ça faisait partie des commerces dont le bail était ancien et qui ont dû partir.
Depuis que le Boulevard du littoral a été refait, je reviens dans le quartier le week-end avec des amis de passage. C’est un vrai bonheur de pouvoir faire le tour du quartier à pied ou en bus. Tout le bord de mer, je trouve que c’est vraiment une grande réussite, et les gens qui viennent de l’extérieur sont émerveillés quand ils le découvrent. Le reste n’est pas encore au top, mais garde justement son authenticité, et puis ça continue de s’améliorer.
Je suis très contente d’avoir pu participer au projet à ma petite échelle.
Maintenant j’aimerais qu’un maximum de batiments anciens soient réhabilités, qu’on fasse en sorte qu’il y ait une vraie mixité sociale et qu’il y ait des espaces de proximité aménagés.